• Manouchian, loi immigration, RN... 

    Emmanuel Macron face à l’Humanité

     

    À l’occasion de l’entrée au Panthéon, le 21 février, des résistants communistes Missak et Mélinée Manouchian, le président de la République a répondu aux questions de l’Humanité.

    Une première pour notre titre.

    Et l’occasion inédite de l’interroger sur ses conceptions de la nation, de l’immigration et sur sa responsabilité dans la montée de l’extrême droite.

     

    Maud Vergnol Cyprien Caddeo Emilio Meslet Rosa Moussaoui
     
    -------------------------------------
     
    Emmanuel Macron a répondu aux questions des journalistes de l'Humanité, le 16 février 2024, à l'Elysée.

    C’est une première qui n’allait pas de soi.

    En cent-vingt ans d’histoire, l’Humanité n’avait jamais réalisé d’entretien avec un président de la République en exercice.

    Pourtant, vendredi 16 février, en fin de matinée, quatre de nos journalistes se sont rendus à l’Élysée pour interviewer Emmanuel Macron.

    L’entrée de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon parachève la reconnaissance par la nation de la Résistance communiste étrangère.

    Un geste mémoriel inédit, essentiel, bien qu’en contradiction complète avec la politique conduite par Emmanuel Macron : une politique ultralibérale, antisociale, qu’une majorité de Français juge autoritaire et que nous dénonçons chaque jour dans nos colonnes.

    Le récit élyséen entend faire de ces résistants des martyrs portés par le seul amour de la patrie : ils étaient antifascistes, internationalistes.

    Avec la mémoire de Missak Manouchian pour fil rouge, cet entretien déplie une vision de la nation, de l’immigration, du combat contre l’extrême droite, de la question sociale en complète rupture avec les convictions, les principes qui guidaient les immigrés des FTP-MOI.

    À nos questions sans concession, le président de la République répond sans détour, en défendant pied à pied sa politique. Dans cet échange vif et franc, Emmanuel Macron est resté fidèle à lui-même. L’Humanité aussi.

    -------------------------------------

     

    Mercredi 21 février, avec Missak Manouchian, résistant étranger, apatride, la Résistance communiste entrera enfin au Panthéon. Comprenez-vous que votre choix surprenne, tant son combat paraît aux antipodes de votre projet politique ?

    Non, car ses combats rejoignent les idéaux républicains. Pour la seconde fois, après Joséphine Baker, un « Français de préférence » entre au Panthéon. Ce choix correspond à l’idée républicaine et est cohérent avec la politique à laquelle je crois. C’est une façon de faire entrer toutes les formes de la Résistance intérieure, dont certaines trop longtemps oubliées.

    Soixante ans après Jean Moulin, la panthéonisation de Missak Manouchian et de ses camarades est un acte de reconnaissance des FTP-MOI et de tous ces juifs, Hongrois, Polonais, Arméniens, communistes, qui ont donné leur vie pour notre pays. C’est pour cela aussi, au-delà de Manouchian et de ses camarades, que j’ai fait reconnaître « Morts pour la France » les résistants fusillés du Mont-Valérien.

     

    Vous reprenez les mots d’Aragon, « Français de préférence », mais pour leur faire dire l’inverse de ce que le poète avançait avec le vers « Nul ne semblait vous voir français de préférence »…

    Je ne mets pas de virgule après Français. Ces « Français de préférence » sont les Français de choix et de sang versé. Ils étaient apatrides car le droit français et européen ne permettait pas de reconnaître ces destins dans la République. Ce n’est qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale que la France a reconnu le droit d’asile sous la forme que nous connaissons.

    Lors du 75e anniversaire du débarquement en Provence, j’ai souligné le rôle des non-Français, venus du continent africain, qui ont participé à la libération du pays. C’est une façon de regarder autrement notre histoire, d’inventer une autre relation avec nos compatriotes dont les familles viennent d’ailleurs. C’est reconnaître ce qui fait le cœur de la nation.

     

    Vous insistez sur son engagement patriotique. Manouchian aimait la France, non pas tant pour son « long manteau de cathédrales » que pour ce qu’elle représentait à ses yeux : « La patrie des droits de l’Homme », héritière de la Révolution française. Les 23 du groupe Manouchian étaient résolument engagés dans la lutte antifasciste et internationaliste. Que faites-vous de cette dimension de leur combat ?

    Elle est centrale. La cérémonie de mercredi, avec la remontée de la rue Soufflot, marquera trois temps pour scander les trois grandes étapes de la vie de Manouchian. Il est d’abord enfant du génocide arménien, que la France a reconnu. Il était aussi ouvrier, internationaliste, communiste, poète. Il a d’ailleurs écrit un poème pour votre journal. Et il fut ce grand résistant, prenant tous les risques pour ses idéaux jusqu’à périr sans « aucune haine ».

     

    Marine Le Pen a reçu une invitation protocolaire comme présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale pour assister à la cérémonie. Cette panthéonisation aura-t-elle du sens si l’héritière politique des bourreaux de Manouchian est là ?

    Mon devoir est d’inviter tous les représentants élus par le peuple français. Est-ce au président de la République de dire qu’un élu du peuple français siégeant au Parlement est illégitime ? Non. Le président de la République n’a pas à faire le tri entre eux.

    Comme pour l’hommage à Robert Badinter dont les élus du RN étaient absents, l’esprit de décence, le rapport à l’histoire devraient les conduire à faire un choix. Je combats les idées du RN et je l’ai même défait par deux fois. Les forces d’extrême droite seraient inspirées de ne pas être présentes, compte tenu de la nature du combat de Manouchian. Mais je ne vais pas, moi, par un geste arbitraire, en décider.

     

    Par ces propos, ne contredisez-vous pas votre premier ministre Gabriel Attal lorsqu’il affirme que « l’arc républicain, c’est l’Hémicycle » ?

    L’Assemblée nationale accueille toutes les forces élues par le peuple. Est-ce que toutes adhèrent à la République et ses valeurs ? Non. C’est aussi vrai pour des groupes d’extrême gauche.

     

    Vous les mettez sur le même plan, sérieusement ?

    J’estime que, par leurs positions, certaines personnalités de la France insoumise combattent les valeurs de la République. Même si je ne pose pas d’équivalence entre les deux extrêmes. Je n’ai jamais considéré que le RN ou Reconquête s’inscrivaient dans l’« arc républicain ».

    Le RN est à l’Assemblée, ses députés votent les lois et l’Assemblée nationale leur a confié des responsabilités. On ne peut pas en faire abstraction. En revanche, j’ai toujours considéré, comme avec la loi immigration, que les textes importants ne devaient pas passer grâce à leurs voix. Ce distinguo suffit à dire où j’habite.

     

    Entre 2017 et 2022, Marine Le Pen a gagné plus de 2,5 millions de voix. Vous disiez vouloir tout faire, pendant votre quinquennat, pour que les électeurs n’aient « plus aucune raison de voter » pour elle. Quelles leçons tirez-vous de cet échec ?

    Ce serait un échec si Marine Le Pen était ici à ce bureau à vous parler.

     

    Il n’est pas impossible que cela arrive en 2027, bien que nous n’irions pas l’interroger…

    Je n’ai pas l’esprit de défaite. Si je n’avais pas été au second tour en 2022, elle aurait sans doute eu plus de chances de l’emporter. La capacité à unir des démocrates sociaux jusqu’à la droite pro-européenne et raisonnable était la condition pour accéder au second tour et la défaire.

    À qui la responsabilité ? Des politiques très à gauche menées dans les années 1980 ont conduit à l’entrée, à l’Assemblée, du Front national, résolument antisémite et négationniste, ce que n’est plus ouvertement le RN. Tout cela doit conduire à l’humilité.

    La désindustrialisation comme le sentiment de déclassement ont nourri l’extrême droite. Nous avons commencé à y répondre avec la baisse du chômage et le début de la réindustrialisation. C’est un long processus.


     
     

    Admettez que cela ne se traduit pas dans les urnes…

    Regardons autour de nous. Quand je suis élu en 2017, l’AfD n’existe quasiment pas en Allemagne. Elle est aujourd’hui la deuxième force du pays. L’extrême droite a flambé en Espagne et en Pologne, elle a gagné en Italie et aux Pays-Bas.

    Le sentiment de perte de contrôle alimente le RN. Beaucoup de ses électeurs considèrent l’Europe comme un monde trop ouvert, trop compliqué. Donc la formule magique serait le retour au nationalisme.

     

    Le sentiment de déclassement se nourrit aussi de la montée des inégalités, qui ont explosé depuis 2017. Vous avez stigmatisé « ceux qui ne sont rien », vous êtes vu comme le président des riches et un ministre sur deux est millionnaire. N’est-ce pas le meilleur carburant pour l’extrême droite ?

    Je récuse cela factuellement : les inégalités n’ont pas explosé. L’Insee a même documenté le contraire en rappelant que nos mesures ont permis de soutenir le revenu des ménages, en particulier des plus modestes, d’abaisser le taux de pauvreté de près d’un point en 2022 et d’augmenter de 3,3 % le niveau de vie des 10 % les plus modestes.

     

    Nous avons réarmé les services publics. Nous avons dépensé plus de 60 milliards pour l’hôpital, augmenté les salaires des infirmières, des aides-soignants et des médecins, mais aussi des professeurs, comme jamais depuis 1990.

    Je veux bien qu’on me reproche une politique libérale qui aurait creusé les inégalités, mais j’ai augmenté de façon inédite les budgets de l’éducation nationale, de la santé, de la justice et de la sécurité. Grâce à tout cela, la France est un des pays au monde où les inégalités après redistribution sont les plus faibles.

     

    Après sept ans au pouvoir, vous n’auriez aucune responsabilité dans la montée de l’extrême droite ?

    Je ne dis pas que j’ai tout réussi. Nous avons tous des responsabilités, mais la caricature que vous faites de ma politique est fausse. Les chiffres le prouvent.

     

    L’Insee recense 9,1 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté, soit 14,5 % de la population…

    Cette situation prévalait auparavant. Nous avons traversé la pandémie de Covid, le choc lié à la guerre en Ukraine, la crise de l’inflation… et nous avons réussi à protéger les Français pour sauvegarder leur pouvoir d’achat, notamment celui des moins favorisés. Chez nos voisins, c’est bien pire.

    Les chiffres que vous citez sont ceux de la pauvreté relative, c’est-à-dire que c’est parce que les revenus ont progressé de manière historique que le seuil de pauvreté s’est fortement élevé. Dans notre pays, les forces d’extrême gauche proposaient un Smic à 1 400 euros ; nous y sommes.

    Depuis 2017, le Smic a progressé de près de 20 %. Pendant la crise de l’inflation, les données montrent que le pouvoir d’achat des classes moyennes a été soutenu plus que dans d’autres pays. Il est donc faux de dire que ma politique serait antisociale.

     

    En 2022, dans votre interview du 14 Juillet, vous expliquiez qu’« une nation, c’est un tout organique ». On pense à Barrès, avec la Terre et les morts. Deux ans plus tôt vous repreniez – à propos de la sécurité – l’opposition maurrassienne entre le « pays légal » et le « pays réel ». Vous parlez aussi de « décivilisation »… Pourquoi emprunter le langage de l’extrême droite ?

    Sur le « tout organique », Jaurès et Péguy ont dit la même chose… Je déteste cette façon de raisonner par contiguïté. Ce n’est pas parce que quelqu’un avec lequel vous n’êtes pas d’accord utilise un mot qu‘il lui appartient.

    Le processus de civilisation est un concept de Norbert Elias. Vous êtes parfois de drôles de censeurs. Vous finissez par voir le monde avec le référentiel de l’extrême droite. Il ne faut pas lui laisser la capacité à nommer le réel. On me fait un procès totalement fou.

     

    Avec l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon, la République reconnaît que l’immigration, en l’occurrence irrégulière, fait la France. Cela intervient deux mois après le vote de la loi à l’occasion de laquelle vous avez déclaré que « la France a un problème d’immigration ». Est-ce qu’on ne touche pas là aux limites du « en même temps » ?

    Pas du tout. Il s’agit de reconnaître ce que des apatrides qui fuyaient un génocide ont pu apporter à notre pays et, en même temps, de contrôler les frontières. Du temps de Manouchian, la France contrôlait ses frontières.

    Parmi les FTP-MOI, d’autres sont venus pour des raisons économiques…

    Cela a toujours été le cas dans notre pays et cela continuera. Je n’ai jamais dit pour ma part que j’étais contre l’immigration. Une chose est de dire que l’on veut maîtriser le phénomène migratoire, ce qui me semble légitime, une autre est de donner sa place à chacun.

    Quand Manouchian est arrivé en France, l’asile sous la forme actuelle, née de la Seconde Guerre mondiale, n’existait pas. Il serait aujourd’hui protégé par la République. C’est là que nous avons un vrai désaccord. Dans le débat politique sur la loi immigration, vous avez voulu me mettre dans un camp, ce que je récuse. J’ai toujours défendu le droit d’asile. Le texte est très clair à ce sujet.

     

    Pourtant, des personnes fuyant des pays en guerre sont déboutées du droit d’asile…

    C’est à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides – NDLR) d’en juger. Très peu de demandes sont refusées, les taux sont énormes.

    Seulement 42 % des dossiers acceptés…

    Beaucoup plus dans les pays en guerre ! Et le tout est sous le contrôle du juge ! Il est légitime de vouloir préserver ses frontières, surtout dans un pays où le modèle social est très généreux, où il faut préserver la cohésion de la nation. La France a constitutionnalisé le droit d’asile en Europe. Je le défends et je le défendrai, en dépit des attaques de l’extrême droite et d’une partie de la droite.

    Notre système est devenu totalement inefficace pour lutter contre l’immigration clandestine. Cent vingt mille demandes d’asile ont été formulées l’année dernière et, en attendant, les personnes qui sont sur notre sol ont accès à l’hébergement inconditionnel, à la scolarisation de leurs enfants et aux premiers soins.

    On peut me faire tous les procès du monde, mais lorsque j’ai été élu en 2017, nous n’avions que 96 000 places d’hébergement d’urgence. Aujourd’hui, il y en a 200 000, avec plus de 2 milliards d’euros investis. Plus de 60 % de ces places sont occupées par des personnes en situation irrégulière. La République est à la hauteur de ce qu’elle doit faire. Mais nos procédures étaient trop complexes et trop lentes. Le texte de loi vise à réduire leurs délais.

     
     

    Vous avez qualifié la loi immigration de « bouclier qui nous manquait ». Un bouclier contre quoi exactement, contre qui ?

    Contre les passeurs et les réseaux d’immigration clandestine qui prospèrent sur la misère du monde, en particulier sur le continent africain… Cette loi, associée au pacte asile et immigration finalisé au niveau européen, démantèle leurs réseaux qui profitent de la faiblesse de notre droit.

    Pensez-vous vraiment qu’un seul passeur libyen va cesser ses activités parce que la loi immigration a été adoptée ?

    Elle va nous permettre de débouter plus vite des gens auxquels ils font de fausses promesses. Cela permet une attrition de la source, avec ce signal : vous pouvez venir en France, mais par les voies régulières, avec un visa. Pour la cohérence de notre pays, nous devons être fermes car l’immigration clandestine provoque un sentiment de perte de contrôle, celui de ne pas maîtriser nos frontières.

    Vous dites que l’immigration menace la cohésion de la nation ?

    Vous n’êtes pas précis. Oui, s’il s’agit de l’immigration clandestine. Si elle n’est pas maîtrisée, elle menace la cohésion de la nation.

    En quoi ?

    La nation, ce sont des droits et des devoirs. Si elle est ouverte à tous les vents, que les immigrés irréguliers peuvent avoir accès à des droits sans y contribuer, qu’est-ce que cela produit ? Pourquoi croyez-vous que les classes populaires se tournent vers le RN ? Ne laissez pas le combat contre l’immigration clandestine à l’extrême droite.

    « Acceptez et reconnaissez que je porte une politique qui n’est pas celle de l’extrême droite. »

    Emmanuel Macron

    Ce combat est républicain. Acceptez et reconnaissez que je porte une politique qui n’est pas celle de l’extrême droite. Je n’ai jamais eu un mot contre l’immigration. Mais vous ne pouvez quand même pas défendre l’immigration clandestine…

     

    Bien des FTP-MOI étaient des clandestins…

    Vous parlez d’un temps où l’asile n’existait pas. Manouchian ne serait pas expulsé aujourd’hui, il aurait à la seconde la protection de la République, puisqu’il venait d’un pays frappé par un génocide.

    Mais aucun républicain digne de ce nom ne peut défendre l’immigration clandestine et l’absence de règles. Cela ne signifie pas que nous cesserons d’accueillir en France. Ce texte de loi va permettre des milliers de régularisations.

    À la discrétion des préfets…

    Mais heureusement ! Le préfet, c’est l’État.

    Ce n’est pas ce que prévoyait le texte initialement proposé par le gouvernement.

    Un droit opposable à la régularisation n’aurait pas de sens. Le texte initial n’était pas assez précis. Dix mille personnes travaillent aujourd’hui sur notre sol et ne sont pas régularisables. Elles le seront grâce à la loi. C’est un bon texte.


     
     

    Un texte que Marine Le Pen tient pour une « victoire idéologique »…

    C’est, je l’ai dit, une manœuvre de garçon de bain, et tout le monde est tombé dans le panneau. Marine Le Pen affirmait, à la veille du vote, que si la loi prévoyait des régularisations, elle ne la voterait jamais. Finalement, elle a fait le coup du sombrero et tout le monde s’est fait avoir.

    Elle n’a rien défendu de ce texte. Elle combat les régularisations : la loi immigration les facilite pour les métiers en tension. Elle prône la préférence nationale : rien dans ce texte n’en relève. Elle refuse la scolarisation des enfants d’étrangers : nous les scolarisons.

    Pour toutes ces raisons, j’estime qu’en insinuant que tout se vaut, vous êtes dangereux. Je me permets de vous le dire parce que vous l’affirmez suffisamment à mon propos dans vos colonnes ! Je lis l’Humanité tous les matins. Vous êtes injustes avec le combat que je porte et vous accréditez l’idée selon laquelle je mènerais une politique d’extrême droite.

    Le ministre de l’Intérieur annonce la fin du droit du sol à Mayotte. Pourquoi cette atteinte à un principe fondateur de la nation française ?

    Il ne faut pas se focaliser uniquement sur le droit du sol. C’est un département français au cœur des Comores. Des familles y circulent et arrivent en France, via Mayotte, où elles ont accès à des prestations complètement décorrélées de la réalité socio-économique de l’archipel. Cela provoque un énorme appel d’air. À cela s’ajoute un nouveau phénomène, ces derniers mois, compte tenu des difficultés sécuritaires dans la région des Grands Lacs : une arrivée massive de personnes en provenance de Tanzanie et d’autres pays.

    Mais je vous le dis : restreindre le droit du sol pour Mayotte ne signifie pas de le faire pour le reste du pays. La deuxième grande mesure – et sans doute la plus nécessaire – pour casser le phénomène migratoire est la restriction de l’accès aux droits sociaux pour les personnes en situation irrégulière. Mayotte est la première maternité de France, avec des femmes qui viennent y accoucher pour faire des petits Français. Objectivement, il faut pouvoir répondre à cette situation. Je reste très profondément attaché à ce droit pour la France.

     
     
     

    Pourquoi cette atteinte à la République « une et indivisible » alors que Gérald Darmanin lui-même admet que cette mesure « ne suffira pas » ?

    Ce n’est pas une attaque à la République indivisible car la Constitution la reconnaît aussi comme plurielle et décentralisée. Nous pouvons adapter la Loi fondamentale aux territoires ultramarins : nous l’avons fait pour la Polynésie française, pour la Nouvelle-Calédonie.

    Il est légitime de poser cette question car les Mahorais souffrent. Ils ont d’ailleurs accueilli très positivement cette proposition, quelles que soient leurs sensibilités politiques. Nous devons casser le phénomène migratoire à Mayotte, au risque d’un effondrement des services publics sur l’île.

    Manouchian se battait pour un projet politique, celui qui a pris corps dans le programme du CNR. Celui-ci consignait notamment l’ambition de rétablir « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance vis-à-vis des puissances financières ». Aujourd’hui, une poignée de milliardaires possède l’écrasante majorité des grands médias : pourquoi laisser faire une telle concentration ?

    Nous ne laissons pas faire, nous respectons la loi.

    La loi peut être changée…

    Oui, c’est pour cette raison que j’ai lancé les états généraux de l’information. Au demeurant, vous le savez bien, tous les titres indépendants qui rencontrent des difficultés trouvent auprès de l’État un appui financier, au nom du pluralisme.

    Considérez-vous cette concentration dans le secteur des médias comme un danger ?

    Bien sûr. Mais à quoi est-elle due ? Sans modèle économique, soit l’information est un service public, soit c’est un produit d’influence. Avec toutes les dérives que cela peut induire. Pour que des journalistes puissent informer en toute indépendance, avec une déontologie, dans un contexte pluraliste, il faut un cadre et je suis attaché à celui qui a été inventé après guerre, avec un soutien de l’État.

    Des propositions en ce sens vont-elles émerger de ces états généraux de l’information ?

    Je ne vais pas les préempter. Mais je suis convaincu qu’il faut faire ce travail. Nous avons maintenu, et accru, dans les périodes difficiles, les aides à la presse. Ce n’est plus suffisant. Avec le numérique, un phénomène très grave s’affirme : la commoditisation de vos métiers. N’importe qui peut se prétendre journaliste. Il n’y a plus de régulation.

    Or l’information a un coût. Sa production est guidée par une déontologie. Les réseaux sociaux abolissent le rapport à l’autorité, c’est-à-dire à la reconnaissance de l’auteur. C’est un vrai problème démocratique. Ces états généraux vont nous proposer, je l’espère, des règles, un modèle économique pour garantir le pluralisme. Sans cela, seuls des gens fortunés pourront posséder des titres de presse, mis au service soit de leurs intérêts, soit de projets politiques.

    Sur ce point, beaucoup vous ont reproché votre silence au moment de la prise de contrôle du JDD par Vincent Bolloré.

    Si j’étais indifférent, je n’aurais pas lancé ces états généraux. Mon rôle n’est pas de m’opposer à la prise de contrôle d’un journal si celle-ci est conforme à la loi. C’est de pouvoir dire que quelque chose ne tourne pas rond quand trop de titres se concentrent dans la main de quelques-uns.

    Gilets jaunes, mobilisation contre la réforme des retraites, mouvement climat… le Conseil de l’Europe comme l’ONU se sont régulièrement inquiétés d’un « usage excessif de la force » sous vos deux mandats. Mesurez-vous les conséquences démocratiques de cette violence opposée aux mouvements sociaux ?

    Oui, et c’est la raison pour laquelle nous avons révisé notre doctrine de maintien de l’ordre. Je suis tout cela avec beaucoup de vigilance. Mais ce qui m’inquiète surtout, c’est la montée de la violence dans la société. Il serait malhonnête de dire que les forces de l’ordre sont violentes de manière spontanée. Elles sont au service de l’ordre républicain.

     

    Des syndicalistes ont été la cible de violences…

    J’ai toujours salué l’esprit de responsabilité des forces syndicales, dont les cortèges se tiennent, qui jouent le jeu de la coopération avec les forces de l’ordre. Il n’en demeure pas moins que des minorités au sein de ces forces, mais surtout des éléments extérieurs, veulent installer une violence de rue.

     

    La République garantit le droit de manifester, de protester ; elle abolit la violence dans la société. Je serai intraitable sur les questions de déontologie. Mais je pense à tous nos policiers et nos gendarmes engagés pour protéger et servir les lois de la République, dont certains sont blessés à vie. Oui aux mobilisations, oui à l’expression de désaccords, mais jamais dans la violence.

    Vous avez déclaré, au soir de votre réélection : « Je sais que nombre de nos compatriotes n’ont pas voté ce jour pour soutenir les idées que je porte. Ce vote m’oblige. » Retraites, assurance-chômage, loi immigration… concrètement, à quoi vous a obligé ce vote ?

    Vous le verrez d’ici à la fin de mon mandat. Je sais que beaucoup d’électeurs de gauche étaient très opposés à la réforme des retraites.

    Pas seulement la gauche, une majorité de Français.

    Croyez-vous que j’ai fait cette réforme de gaîté de cœur ? Non. Mais si nous ne l’avions pas conduite, nous serions dans de grandes difficultés, alors que nous sommes déjà le pays d’Europe avec le plus gros déficit public, avec le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé.

    Je ne peux pas vous dire je veux une France plus forte, dans un moment où la guerre revient en Europe, sans faire de réformes pour travailler davantage. Celle-ci figurait dans mon programme. C’est cela, la démocratie, la République. Je suis, ce faisant, dans la même situation que tous mes prédécesseurs.

    J’essaie d’appliquer le projet pour lequel j’ai été élu et qui m’a placé largement en tête du premier tour en 2022. Je ne vais pas m’excuser d’avoir fait 28 %. Je sais que beaucoup n’adhéraient pas à ce programme. Mais c’est le cas pour toute élection. Celle de François Mitterrand, en 1981, a-t-elle mobilisé, au second tour, seulement des partisans du programme commun ?

    Il n’a pas été élu au terme d’un second tour face à l’extrême droite…

    Non, mais je suis élu dans un contexte où il n’y a plus de grandes manifestations comme en 2002. C’est la société qui a normalisé et banalisé l’extrême droite. Elle est invitée sur tous les plateaux de télévision depuis plus de dix ans.

    Je sais aussi la responsabilité qui est la mienne pour essayer de porter le projet démocrate et républicain, en prenant en compte la pluralité des opinions. C’est ce que je fais avec Manouchian sur le plan symbolique. Je continuerai de le faire dans le réel.


    votre commentaire
  • Missak Manouchian et l'Affiche rouge

    « La propagande nazie s’est retournée

    contre ses initiateurs »

     

    Manouchian et ceux de l’Affiche rouge,

    de Denis Peschanski et Hugues Nancy,

    France 2, mardi 20 février 2024 à 21 h 10.

     

    L’historien du communisme et du régime de Vichy Denis Peschanski et le documentariste Hugues Nancy cosignent « Manouchian et ceux de l’Affiche rouge », un film-événement « tout archives ».

    Ce remarquable travail vient combler les zones d’ombre qui subsistent autour de la lutte, la traque et la fin de ces mythiques combattants FTP-MOI.

     
    « Mélinée la première a dit que s’il n’y avait pas eu l’affiche,
    sans doute aurait-on oublié Missak et ses camarades.
    Elle avait raison : cette affiche a symbolisé le combat des FTP-MOI », estime Hugues Nancy.

     

    L’histoire est connue.

    Mais elle révèle encore des détails que seul le travail minutieux des historiens peut mettre en lumière.

    Aux nazis, il fallait une tête d’affiche pour dénoncer les « terroristes » qui voulaient libérer leur pays : ce sera Missak Manouchian, requalifié en « chef de bande » de « l’armée du crime ».

    Mais grâce à cette affiche rouge dont Aragon et Ferré feront un signe de ralliement, lui et ses 22 camarades combattants des FTP-MOI entreront à jamais dans la lumière.

     

    Ils le méritent, comme cette entrée prochaine au Panthéon, par leur amour immense pour leur patrie d’adoption : on apprend ainsi, dans le film coécrit par l’historien Denis Peschanski et le documentariste Hugues Nancy, que Manouchian avait déposé deux demandes de naturalisation, pour pouvoir s’enrôler dans l’armée.

    Il trouvera finalement un autre moyen de défendre son pays.

    Comme lui, les communistes étrangers, pour les Allemands coupables à double, parfois triple titre (nombre d’entre eux étaient juifs, il y avait même des femmes) du délit d’altérité, ont clamé cet amour en versant leur sang.

    Ce rappel pour mémoire (collective) n’était pas inutile.

    L’histoire des Francs-tireurs et partisans-Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI), c’est celle de l’engagement communiste, mais c’est aussi une histoire d’amour avec la France…

     


    Denis Peschanski, historien.

    Chez les FTP-MOI, il y a une convergence identitaire. Manouchian est évidemment extrêmement marqué par le génocide des Arméniens de 1915, qui l’a rendu orphelin. Son père est mort, les armes à la main, ce qui n’est pas sans expliquer son propre engagement. Sa mère est morte de faim. Et lui va se retrouver dans un orphelinat du Liban, alors sous mandat français. Il va y développer un amour pour la langue de Molière, un attachement à la France des droits de l’homme, de la Révolution française.

    Il va venir en France en 1924. Arménien, réfugié, communiste à partir du début des années 1930 et donc internationaliste, il est aussi chrétien : avant d’être exécuté, il a communié. Donc, il a cette pluralité d’identités. Et il a demandé deux fois sa naturalisation, pour pouvoir s’engager dans l’armée. Cet attachement, il le partage avec beaucoup de Juifs d’Europe centrale et orientale, qui forment le contingent le plus important des FTP-MOI de la région parisienne avec les Italiens.


    Hugues Nancy, documentariste.

    Ce qui m’a frappé, c’est la prépondérance de la Révolution française dans leur imaginaire. On a retrouvé un album de photos prises par les prisonniers du camp de rétention de Gurs, dans les Pyrénées-Atlantiques, à la frontière espagnole : en 1939, les anciens brigadistes fêtaient les 150 ans de la Révolution. Ils sont tous étrangers et pourtant ! Cette idée de la France comme pays de la Révolution, c’est un élément crucial.

     

    La particularité des FTP-MOI, c’est la lutte armée. Mais leurs derniers mots sont toujours des mots d’espoir. Ce sont leur parcours, leurs aspirations qui les font se projeter vers l’avenir, alors que leur vie va s’achever ?


    Hugues Nancy, documentariste.

    Je dirais que c’est la conviction d’avoir eu un combat juste. Quand on a des convictions politiques fortes, qui vous conduisent à mourir en leur nom, on les défend jusqu’au bout. Et puis l’espérance, c’est la fin de la guerre, et elle est proche. Ils le savent, ils l’espèrent et plus la victoire alliée s’annonce, plus leur combat va paraître juste aux yeux des autres et aux leurs.


    Denis Peschanski, historien.

    J’avais demandé à Guy Krivopissko (conservateur du musée de la Résistance nationale, décédé en 2023 – NDLR) de publier ces dernières lettres de fusillés, entre autres parce que j’avais lu celle du chef du réseau de mes parents. C’était d’une force extraordinaire. On trouve ça dans toutes les lettres de fusillés. C’est à pleurer à toutes les lignes et avec le même espoir, quel que soit le positionnement politique de celui qui écrit.

     

    Vous utilisez des images d’archives. Où les avez-vous trouvées ?


    Hugues Nancy, documentariste.

    Notre documentaliste, Hélène Zinck, a fait un travail remarquable. C’est une période beaucoup traitée à la télévision, alors certaines images pouvaient être un peu connues. Mais la manière de les monter donne le sentiment de les redécouvrir. On voulait rendre compte de ce qu’ont pu ressentir nos personnages sur le moment, plonger le téléspectateur dans leur réalité. Mais on doit beaucoup aussi aux recherches précieuses de Denis, par exemple pour la demande de naturalisation de Missak Manouchian.

    C’est important symboliquement, quand on parle de l’entrée au Panthéon d’un étranger, communiste et amoureux de la France. Hélène, de son côté, a trouvé un album qui était dans les archives de la préfecture de police. C’est absolument incroyable : les Allemands y recensent à la fois les attentats réels et des reconstitutions qu’ils avaient faites eux-mêmes pour en garder la trace.


    Denis Peschanski, historien

    En quarante ans, j’ai ouvert des centaines de cartons. Et là, boum ! Je tombe sur les deux demandes de naturalisation de Manouchian, une pièce absolument essentielle. La numérisation nous aide aussi beaucoup : grâce à elle, on peut voir en série des documents qu’on abordait de façon éparpillée, sans en mesurer l’ampleur. Par exemple, les agendas de la brigade spéciale numéro 2 des renseignements généraux, qui permettent une vision complète de l’importance politique et militaire de l’action des FTP-MOI : en les feuilletant, on voit trois, quatre actions par jour… C’était totalement insupportable pour les Allemands.

    Une partie de cette documentation est issue de la propagande allemande. Avec les photos, les fascicules, et surtout cette Affiche rouge, devenue une icône politique, peut-on dire que la propagande des nazis s’est retournée contre eux ?


    Hugues Nancy, documentariste

    Avec le recul, on peut le dire. Les Allemands, à ce moment-là, n’ont pas perçu le basculement de l’opinion à l’œuvre depuis des semaines et des mois. Il y a cette espérance que la guerre va prendre fin et qu’ils vont être chassés du pays. Cet acte de propagande des Allemands suffit à déclencher de la sympathie chez les Parisiens et les Français qui n’en peuvent plus de cette occupation. Donc oui. Ils sont rentrés dans l’histoire grâce à cette affiche, puis grâce à Louis Aragon. Mélinée la première a dit que s’il n’y avait pas eu l’affiche, sans doute aurait-on oublié Missak et ses camarades. Elle avait raison : cette affiche a symbolisé le combat des FTP-MOI. Ils sont devenus des héros grâce à elle.


    Denis Peschanski, historien.

    Elle s’inscrivait dans une opération de propagande destinée à montrer que la résistance est le fait des juifs, des métèques, des communistes, dans une thématique classique dénonçant le judéo-bolchévisme. La Propagandastaffel voulait montrer que ce sont ces étrangers qui conduisent cette résistance. Cette opération, d’ailleurs mise en œuvre par le Centre d’études antibolcheviques, une officine collaborationniste, se retourne contre ses initiateurs. D’habitude ils maîtrisaient mieux la communication : quelques semaines plus tôt, ils avaient caché l’exécution de Julius Ritter par l’équipe spéciale de Marcel Rayman, Celestino Alfonso et Leo Kneler pour ne pas alerter l’opinion.

     

    Les MOI ne savaient même pas qui il était : ils ont appris par la presse qu’il était l’organisateur du Service du travail obligatoire. Mais il ne fallait pas mettre en évidence une exécution dont les Français auraient été ravis. Dans le même ordre d’idées, il n’y a pas d’image du procès, juste quelques pièces d’archives dont une trouvée au service historique de la Défense par Jean Vigreux, qui donne les décisions du tribunal et sa composition. Le montrer aurait été catastrophique : les seules images qu’on présente sont prises dans la cour de Fresnes, ces visages blêmes et hirsutes sur fond de murs gris, pour faire peur aux « bons Français ».

     

    Manouchian entre au Panthéon au moment où on durcit les lois sur l’immigration. Cela dit quelque chose de la place de l’étranger en France ?


    Hugues Nancy, documentariste.

    Il faut faire attention de ne pas comparer les époques. Ce que ça raconte, c’est surtout l’engagement communiste de ces jeunes gens qui voulaient changer le monde. Étaient-ils communistes juifs ou juifs communistes, ou communistes parce que juifs et que leur famille a subi des déportations ? Si on doit tirer une leçon de cette époque, c’est la façon dont le Parti communiste les a accueillis dans des structures dédiées, qui permettaient l’intégration. Bien sûr que ça interroge la place des étrangers. L’histoire de Manouchian et de ses 22 camarades, c’est l’histoire de l’immigration en France, mais aussi celle des partis politiques de gauche qui tentent d’intégrer ces travailleurs étrangers.


    Denis Peschanski, historien.

    La force du PCF à ce moment-là, c’est d’être à la fois vecteur d’intégration et en même temps de créer des structures qui permettent à ces gens venus d’ailleurs de se retrouver entre eux, comme Missak et Mélinée dans le journal de la section française du Secours pour l’Arménie, « Zangou ». L’entrée de Manouchian au Panthéon, elle est liée d’abord à ses responsabilités, mais plus encore, à la rencontre d’un poète, Missak lui-même, avec deux autres poètes, Louis Aragon et plus tard Léo Ferré.

     
     

    Mais il ne faut pas oublier qu’il y entre accompagné, avec Mélinée, de ses 22 camarades, plus Joseph Epstein, le chef des FTP, puisque leurs noms seront inscrits en lettres d’or à côté du caveau. Avec lui, ce sont tous les résistants étrangers qui sont honorés. On a attendu 2024 pour que rentre au Panthéon le premier résistant étranger et le premier résistant communiste !


    Hugues Nancy, documentariste.

    Cette histoire raconte aussi la chance que sont les réfugiés politiques : une richesse pour le pays d’accueil. Ils sont la démonstration qu’on peut être réfugié et le premier à se battre pour la France et à mourir pour elle.

    Manouchian et ceux de l’Affiche rouge, de Denis Peschanski et Hugues Nancy, France 2, mardi 20 février 2024 à 21 h 10.


    votre commentaire
  • L’opposant russe Alexei Navalny

    est mort dans sa prison de l’Arctique

     

    Considéré par certains comme figure majeure de l’opposition à Vladimir Poutine, condamné à 19 ans de détention et emprisonné dans un centre pénitentiaire, Alexei Navalny est mort ce vendredi 16 février, selon un communiqué de l’administration russe.

    À un mois seulement des élections en Russie, son décès sonne comme un message au monde et au peuple russe.

    Benjamin König - L'Humanité - 16 février 2024
     
    Dans un message daté du 1er février, il appelait à des manifestations partout en Russie à l’occasion de l’élection présidentielle, dont le scrutin est fixé du 15 au 17 mars prochain.
     

    Pour l’Union européenne (UE), qui lui avait décerné le prix Sakharov en 2021, il était l’opposant n° 1 à Vladimir Poutine.

    Même s’il n’était pas considéré comme tel par les Russes, Alexei Navalny gênait le pouvoir : l’administration pénitentiaire (FSIN) a annoncé sa mort ce vendredi dans la prison de Yamal, en Arctique, au nord du pays.

    « Le 16 février, dans le centre pénitentiaire n°3, le prisonnier Navalny s’est senti mal après une promenade et a presque immédiatement perdu connaissance (…) », a déclaré le FSIN dans un communiqué.

    Lequel assure que « toutes les mesures de réanimation nécessaires ont été prises mais elles n’ont pas donné de résultats positifs », et que « les médecins urgentistes ont constaté la mort du patient ; les causes de la mort sont en train d’être établies ».

    Une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et datée du 15 février le montre amaigri mais en bonne forme et blaguant avec un juge sur ses conditions de détention et sa situation.

    Dans un message daté du 1er février, il appelait à des manifestations partout en Russie à l’occasion de l’élection présidentielle, dont le scrutin est fixé du 15 au 17 mars prochain.

     

    Un affaiblissement progressif

    Les conditions de sa détention ne sont évidemment pas étrangères à son décès : Alexei Navalny était détenu dans des conditions particulièrement difficiles, entre isolement et transfert récent, en décembre dernier, dans cette prison, après avoir passé deux ans dans un autre établissement situé à 250 km de Moscou.

    Arrêté le 17 janvier 2021, à son retour en Russie, après une convalescence de cinq mois en Allemagne à la suite d’un empoisonnement imputé aux services secrets russes, il avait été condamné à une peine de dix-neuf ans de prison pour « extrémisme ».

    Fin janvier 2021, son arrestation avait entraîné des manifestations importantes en Russie, avec près de 200 000 personnes sur l’ensemble du territoire, selon l’un de ses proches, Leonid Volkov.

    3 324 personnes avaient été arrêtées à cette occasion, selon l’ONG OVD Info. Nationaliste, longtemps proche de l’extrême droite russe, Alexei Navalny s’était fait connaître dès 2010 par son combat anti-corruption, et avait quitté en 2011 le parti de Vladimir Poutine, « Russie unie ».

     

    La maison Blanche reste prudente

    De nombreux dirigeants occidentaux ont immédiatement réagi, notamment au sein de l’UE.

    « Sa mort en colonie pénitentiaire nous rappelle la réalité du régime de Vladimir Poutine », a déclaré le chef de la diplomatie française, Stéphane Séjourné. 

    Le président du Conseil européen, Charles Michel, a affirmé tenir « le régime russe pour seul responsable de la mort tragique » de Navalny.

     

    Du côté de la Maison-Blanche, on reste prudent.

    Sa mort, « si (elle) est confirmée, est une terrible tragédie », a réagi le conseiller à la sécurité nationale américain Jake Sullivan.

    Sa disparition, dont les circonstances floues posent de nombreuses questions, témoigne de la fuite en avant et du durcissement du régime de Vladimir Poutine.

    À un mois du scrutin présidentiel, elle sonne également comme un message sans équivoque à l’endroit du peuple russe.


    votre commentaire
  • SNCF :

    « 70 à 90 % des contrôleurs feront grève ce week-end »,

    annonce la CGT

    Après plusieurs jours de négociations, la CGT Cheminots et Sud rails maintiennent leur préavis de grève et appellent les contrôleurs à se mobiliser entre le 16 et le 18 février. Sécurité à bord des trains, rémunérations et fins de carrières font partie des contentieux avec la direction de la SNCF, selon Thierry Nier (CGT).

     
    La CGT appelle les contrôleurs à se mobiliser durant le week-end du 16 au 18 février.

     

    Cette fois, les syndicats ont pris les devants.

    Débordés par une grève sectorielle des Agents du service commercial trains (ASCT, contrôleurs) durant la période des fêtes de fin d’année en 2022, la CGT Cheminots et Sud rails appellent les contrôleurs à se mobiliser du 16 au 18 février.

    La cause ?

    Le non-respect de certains accords obtenus lors de la sortie de crise, après plusieurs tables rondes ces sept derniers jours.

     

    Entretien avec Thierry Nier, secrétaire général de la fédération CGT des Cheminots.

     

    Pour quelles raisons estimez-vous que l’accord de sortie de crise, lors de la mobilisation catégorielle à Noël 2022, n’est pas respecté ?

     

    Plusieurs points de cet accord n’ont pas abouti.

     

    À commencer par l’engagement pris d’avoir deux Agents du service commercial trains (ASCT, contrôleurs, NDLR) à bord des TGV.

    C’est une revendication de longue date de la CGT, dans un contexte de recrudescence des incivilités et agressions à bord des trains.

    Deux agents pour assurer le bon voyage, l’information, l’accueil, la sécurité de circulation de 600 usagers, ce n’est pas de trop.

    Cette mesure n’est valable que dans 87 % des TGV.

    L’objectif de 100 % est remis à 2025, contre 2023 initialement. Nous le déplorons. Les conditions de travail à bord des TGV se dégradent et les ASCT sont en attente.

    Le second point d’achoppement est celui des primes de travail. Ces dernières sont des éléments de rémunération qui reconnaissent les compétences et contraintes liées au travail en fonction des métiers. Dans le salaire des cheminots, elles s’ajoutent au traitement et à l’indemnité de résidence.

    Depuis trois ans, la CGT propose un projet complet de revalorisation des primes de travail de l’ensemble des cheminots, dont les ASCT. En fusionnant des éléments de rémunérations, notamment des primes, nous pouvons passer de 590 à 780 euros brut. Ce projet est resté lettre morte auprès de l’entreprise. Cette attente provoque des crispations auprès des contrôleurs.

     

    Qu’en est-il des fins de carrière ?

    La renégociation de la cessation progressive d’activité devait avoir lieu en 2023. Ce dispositif n’a pas été revu depuis 2008. Nous réclamons d’urgence une table ronde pour l’ensemble des cheminots.

    Contrôleur est un métier à pénibilités avérées. Dans une carrière de 35 ans, un ASCT est hors de chez lui pour une durée d’environ cinq années, sans compter le travail de nuit.

    Un ASCT reste à bord du train, même si ce dernier a du retard ou un problème.

    Pour contrecarrer les effets de la réforme, nous voulons pousser l’ouverture de ce droit à 48 mois avant le départ en retraite.

     

    Où en sont les 8 400 embauches promises par la SNCF ?

    En dehors des promesses faites, la CGT a lancé 107 luttes locales pour concrétiser ces embauches. Le bilan mi-parcours se fera avant l’été.

    Nous apprécions positivement ces annonces. C’est un niveau de recrutement jamais vu depuis 2010.

    Le groupe a réalisé 2,3 milliards de bénéfices en 2022. Cette trajectoire devrait se poursuivre en 2023.

    Thierry Nier (CGT Cheminots)

    Cela étant, en plus des 8 400 recrutements programmés, la CGT évalue les besoins dans l’ensemble des entreprises de la SNCF à 7 400 supplémentaires. Le compte n’y est donc pas.

    Concernant les ASCT, 650 recrutements ont été réalisés. Mais la direction n’a pas anticipé la durée de formation. Elle ne peut donc pas concrétiser l’engagement d’avoir la présence de deux contrôleurs à bord des TGV.

     

    Le président de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, a annoncé le versement d’une prime de 400 euros en mars, qui s’ajoute à celle du même montant en décembre dernier. Les cheminots recevront un intéressement lié à la bonne santé de l’entreprise de 1 200 euros en mai. Est-ce satisfaisant ? 


    Pour la CGT, l’ensemble de ces sommes doivent être versées en augmentations générales de salaires, bruts, et cotisés, ou bien dans une réévaluation des primes de travail.

    L’intéressement de 1 200 euros résulte de l’excédent brut d’exploitation, à savoir la différence entre les recettes et les dépenses.

    Or dans cette différence figure la masse salariale.

    De fait, cette logique de rémunération conduit à devoir baisser les emplois, la masse salariale, pour toucher des intéressements.

    Le groupe a réalisé 2,3 milliards de bénéfices en 2022. Cette trajectoire devrait se poursuivre en 2023.

    Mais les cheminots doivent pouvoir payer leurs loyers et leurs courses quotidiennement et non au gré des bons ou mauvais résultats de la SNCF.

     

    Jean-Pierre Farandou vous appelle à « bien réfléchir » sur les conséquences de ce mouvement durant ces congés de février. À quoi faut-il s’attendre ?

    Chez les ASCT, ce mouvement va être suivi : 70 à 90 % de la profession seront grévistes.

    Cela démontre d’un haut niveau de mécontentement.

    Cette colère est vraie chez les contrôleurs mais aussi auprès des autres métiers.

    Les agents du matériel et de la conduite doivent être solidaires de ce mouvement : fabriquer un train nécessite une synergie entre les métiers.


    votre commentaire
  • Gouvernement Attal :

    enquête sur ces millionnaires qui nous gouvernent

     

    D’après les éléments rassemblés par l’Humanité, la moitié des ministres, au moins, disposent d’un patrimoine de plus d’un million d’euros.

    Mieux : un tiers du nouveau gouvernement pourrait être classé parmi le 1 % de Français le plus fortuné.

    De quoi expliquer la guerre de classe promise parmi les priorités fixées ce week-end par Gabriel Attal ? 

     
    Sur les 34 ministres présents au premier séminaire du gouvernement Attal, il y avait 17 millionnaires.
     
     

    Il fallait le faire, et Emmanuel Macron l’a très probablement fait : désormais au complet – avec 34 membres au total –, le gouvernement dirigé par Gabriel Attal compte, en proportion, autant et même vraisemblablement plus de millionnaires que celui d’Élisabeth Borne en 2022.

    À l’époque, déjà, les patrimoines des ministres dépassaient ceux des gouvernements d’Édouard Philippe et de Jean Castex qui, eux-mêmes, écrasaient ceux des ministres socialistes et apparentés sous François Hollande.

    Les données officielles et stabilisées ne seront pas connues avant plusieurs longs mois, le temps que les responsables politiques fassent leur déclaration d’intérêts et de patrimoine à la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP). Et que celle-ci, dans la foulée, procède à leur examen avant de demander, si nécessaire, des précisions ou des modifications.

    Mais, rien qu’à partir des éléments archivés et exhumés par l’Humanité – après la désignation à une fonction ministérielle ou élective au Parlement, les documents précédents sont, en effet, retirés du site de la HATVP –, il est déjà possible de décompter 17 millionnaires, soit un ministre sur deux.

    Cela, sans tenir compte de tous ceux dont les données restent parcellaires ou inexistantes à ce stade. De quoi jeter une lumière un peu plus crue sur un gouvernement resserré, peut-être, en nombre mais pas en surface financière.

    Une assurance-vie estimée à 1,5 million d’euros pour Gabriel Attal

    Ainsi, quand le Conseil de ministres se réunit, comme samedi, pour une session dite de team building, afin de fixer les « priorités » et le « calendrier », c’est Gabriel Attal, si jeune premier ministre et déjà si riche – il dispose d’une assurance-vie évaluée à près de 1,5 million d’euros – qui est aux manettes.

    Avec une fortune estimée à 7 millions d’euros, tirée en bonne partie des actions gratuites qu’elle a pu accumuler chez Axa, puis Carrefour, Amélie Oudéa-Castéra est toujours là, même si elle a perdu le portefeuille de l’Éducation nationale, transféré à Nicole Belloubet dont le patrimoine global avait été estimé à un million d’euros.

    Après avoir touché pour 10 millions d’euros de salaires pendant quelques années à la Caisse de dépôt et de placement du Québec, avant de descendre dans l’arène politique macroniste, Roland Lescure, ministre délégué à l’Industrie et à l’Énergie, peut s’appuyer sur un patrimoine global évalué à 5 millions d’euros.

    Un montant similaire pour l’ancien ténor du barreau, Éric Dupond-Moretti, qui a, au-delà de ses confortables émoluments comme avocat, ramassé le gros lot (près de 800 000 euros entre 2016 et 2020) en droits d’auteur et comme acteur de théâtre, juste avant de rentrer au gouvernement.

     

    Ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini déclare un patrimoine juste en dessous des 4 millions d’euros, mais avec des emprunts chiffrés autour de 2,5 millions – ce qui en dit probablement long sur la confiance que les plus aisés peuvent inspirer aux banques.

    Puis, il y a tous les autres, du champion toutes catégories Franck Riester à Agnès Pannier-Runacher, en passant par Dominique Faure et Jean-Noël Barrot, mais encore Olivia Grégoire, Fadila Khattabi, Sylvie Retailleau, Christophe Béchu ou Marc Fesneau, tous au-dessus du million, et parfois largement !

     

    Selon l’Observatoire des inégalités, en France, les 10 % les plus fortunés possèdent des biens financiers, immobiliers ou professionnels d’un montant de 716 000 euros au minimum. Dès lors, les deux tiers du gouvernement Attal sont à ranger dans cette catégorie.

    Possédant plus de 1,03 million d’euros, la moitié du gouvernement ferait, en l’occurrence, plutôt partie des 5 % des plus riches. Et dans le lot, au moins 9 membres du gouvernement actuel – un sur trois, sans doute, au bout du compte – sont en réalité à classer dans le 1 % des plus riches, c’est-à-dire parmi ceux qui détiennent un patrimoine dépassant les 2,2 millions d’euros.

     

    Le spectre des conflits d’intérêts

    Derrière les patrimoines, la HATVP va devoir se pencher également sur les conflits d’intérêts. Au sens strict, d’abord : il s’agit d’organiser les mises en retrait des ministres quand ils ne peuvent, du fait de leur passé professionnel ou de leurs liens familiaux, garantir leur indépendance.

    Plusieurs décrets organisant des « déports » ont d’ores et déjà été pris par le premier ministre : le plus volumineux concerne le ministre de la Justice qui, du fait de son passé d’avocat, ne peut s’intéresser à la carrière de magistrats ayant officié dans des affaires où il était impliqué, au sort de ses anciens clients ou de son cabinet, etc.

    Ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, dont le patrimoine total ne dépassait pas les 450 000 euros il y a quelques années, devra s’abstenir d’intervenir sur tout dossier lié à Aéroports de Paris (ADP), sa sœur ayant épousé le PDG du groupe, Augustin de Romanet.

    Enfin, avant d’être renvoyée aux seuls Sports et aux jeux Olympiques et Paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra devait s’interdire de toucher à quoi que ce soit lié aux activités de son mari, chez Capgemini ou Sanofi. Mais s’abstenir également sur ses activités passées, chez Axa, Carrefour – l’un et l’autre sponsors des JOP (jeux Olympiques et Paralympiques) – ou à la Fédération française de tennis.

     

    Mais, derrière l’inventaire et le passage obligé au nom de la transparence, c’est un autre conflit d’intérêts que prépare le gouvernement Attal… D’une tout autre ampleur, avec ses priorités annoncées sur le droit du travail, l’école ou le logement.

    Un conflit politique qu’on peut d’ailleurs entendre sourdre dans la nature même des patrimoines des ministres : alors que, par-delà le cas Oudéa-Castéra, les fortunes mi-actionnariales mi-salariales issues des géants du CAC 40, comme celles de Muriel Pénicaud ou de Laurence Boone, ont plutôt tendance à régresser au sein de l’équipe Attal, beaucoup de ministres, détenteurs parfois de cinq à dix propriétés immobilières, assoient leur patrimoine sur la pierre.

    Et au fond, si Guillaume Kasbarian, ex-employé de cabinets de conseil et désormais ministre du Logement, poursuit, malgré le tollé suscité par sa désignation, une politique de répression des locataires, ce sera tout bénef… pour les membres du gouvernement et leur camp social.

    --------------------------------------------------------------

    Rachida Dati, Franck Riester, Agnès Pannier-Runacher…  :

    la fortune des ministres sur le grill de la HATVP

    Les membres du gouvernement ont deux mois pour remettre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique leurs déclarations actualisées d’intérêts et de patrimoine. Revenus sur les cinq dernières années, participations même à titre gracieux à des organismes divers, propriétés immobilières, comptes en banque, instruments financiers comme les plans d’assurance-vie… Tout doit y passer.

     
     

    Franck Riester, ministre délégué au Commerce extérieur : à jamais le premier

     

    Une fois de plus, c’est à lui que revient la palme : héritier de plusieurs garages et concessions automobiles créés par un aïeul, Franck Riester détient, avec plus de 10 millions d’euros selon la dernière estimation en date, la plus grande fortune au sein du gouvernement.

    En plus de ses émoluments en tant que ministre – autour de 100 000 euros net par an –, il peut ainsi compter, chaque année, sur les confortables dividendes versés par l’entreprise familiale et ses diverses sociétés civiles immobilières (SCI).

    Député UMP depuis 2007 et proche de Bruno Le Maire, celui qui a réussi à se maintenir au gouvernement depuis plusieurs années, passant par la Culture et les Relations avec le Parlement, sous Édouard Philippe, Jean Castex, Élisabeth Borne et Gabriel Attal, possède plusieurs appartements et maisons à Paris, en Seine-et-Marne et en Savoie.

     

    Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture : taux (de conflit) d’intérêts à la hausse

     

    Dans ses précédentes fonctions à Bercy, elle avait une longue liste de sujets sur lesquels elle devait s’abstenir d’intervenir, sous peine de conflit d’intérêts. Ex-dirigeante de la Compagnie des Alpes, contrôlée par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), Agnès Pannier-Runacher devait se déporter sur des sujets comme les parcs de loisirs, les remontées mécaniques, les tour-opérateurs en ligne, l’hôtellerie et restauration et même tout le secteur du tourisme.

    Mais ça n’était pas tout : elle devait également s’interdire de prendre part à des décisions concernant l’entreprise de nettoyage Elis (où elle a fait une partie de sa carrière et dont elle détient encore des actions). Même chose pour l’armateur Bourbon et le groupe financier australien Macquarie impliqué dans le secteur autoroutier français.

    Et, last but not least, elle devait s’écarter des dossiers liés au géant pétrolier français Perenco où son père avait occupé des postes élevés d’encadrement. Côté intérêts, la liste est longue… Et pour le patrimoine, c’est pas mal aussi : outre des biens immobiliers évalués au-delà de 1,2 million d’euros, elle disposait, lors de sa dernière déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de vie politique (HATVP), de plus d’un million d’euros sur ses comptes courants dans les banques.

     

     

     
     

    Dominique Faure, ministre déléguée aux Collectivités territoriales et à la Ruralité : l’autre tenniswoman du gouvernement

     

    C’est l’autre ancienne championne de tennis du gouvernement. Mieux : elle a, tout comme Amélie Oudéa-Castéra, frayé dans les instances de la Fédération française de tennis (FFT).

    Jusqu’à son entrée au gouvernement, en novembre 2022, l’ex-numéro 12 française avait mené une carrière professionnelle à des postes de direction intermédiaire ou locale dans des groupes comme Motorola, SFR ou Veolia.

    En parallèle d’une carrière de maire de Saint-Orens-de-Gameville (Haute-Garonne) et d’élue à Toulouse Métropole, Dominique Faure est ensuite rentrée dans le monde du « conseil » et des consultants chez Altedia, puis chez Grant Thornton.

    Ce dernier dispose d’ailleurs d’une branche « secteur public », avec une spécialité pour les collectivités territoriales. Dans la dernière version en date de sa déclaration d’intérêts – avant l’actualisation en cours –, Dominique Faure ne s’étendait pas sur le sujet. Concentré sur six propriétés immobilières et une holding contrôlée avec son mari, son patrimoine s’approche des 2 millions d’euros.

    Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé des Affaires européennes : un air de dynastie familiale

     

    Petit-fils de Noël Barrot, résistant dans l’Armée secrète puis député MRP après la guerre, et fils de Jacques Barrot, l’ancien hiérarque centriste qui a été ministre sous Giscard et Chirac, l’économiste encarté au Modem dispose d’un solide patrimoine : des propriétés immobilières évaluées à 2,25 millions d’euros, des plans d’assurance-vie pour un montant global de 1,6 million, une épargne-retraite du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), où il a un temps enseigné. Et encore quelques centaines de milliers d’euros en plus sur ses comptes bancaires.

    Côté famille, Jean-Noël Barrot a également une sœur, Hélène, qui s’occupe de la communication pour l’Europe de l’Ouest et du Sud au sein de la plateforme de VTC Uber.

    Une proximité qui l’a poussé à « se déporter » sur le sujet, alors qu’il était auparavant ministre délégué à la Transformation numérique et que le scandale des Uber Files venait d’éclater dans l’Union européenne. Hasard ou coïncidence : dans le jury de thèse, en 2012, de Jean-Noël Barrot, on retrouve David Thesmar et Augustin Landier, deux des économistes à qui le géant américain commandera une étude « académique » en 2016.

    Rachida Dati, ministre de la Culture : rattrapée par la patrouille de la transparence

     

    Sur le site Internet de la Ville de Paris, sur la fiche de présentation de celle qui fut longtemps première opposante de droite à Anne Hidalgo et qui est désormais passée avec armes et bagages à la Macronie, les deux lignes paraissent cinglantes.

    Rachida Dati « n’a pas souhaité transmettre sa déclaration de patrimoine ». Puis : Rachida Dati « n’a pas souhaité publier » sa déclaration d’intérêts. Mais maintenant qu’elle est au gouvernement, elle aura du mal à y couper. Il y a quelques années, au Parlement européen, l’ex-magistrate devenue avocate et consultante avait été recadrée pour avoir omis de déclarer une société de conseil, dissoute depuis.

    Alors que ses avocats bataillent, en arguant de la prescription, pour empêcher son renvoi devant la justice dans l’affaire Renault-Nissan – après une longue information judiciaire, le Parquet national financier (PNF) soupçonne des versements frauduleux, pour un total de 900 000 euros, par la filiale financière du groupe aux Pays-Bas –, l’ex-sarkozyste en diable Rachida Dati pourrait avoir à dévoiler ses revenus, ses intérêts et son patrimoine. De quoi accréditer ou lever, peut-être, une bonne fois pour toutes les interrogations sur son inscription dans certains milieux d’affaires, de GDF-Suez à EDF et son ancien PDG Henri Proglio, en passant par le Qatar ou l’Azerbaïdjan…

    --------------------------------------------------------

    Les Oudéa-Castéra, un archétype des « patrons d’État »

    Ex-dirigeante d’Axa et de Carrefour, Amélie Oudéa-Castéra, la ministre qui a perdu l’Éducation nationale mais gardé les Sports, a, par ses gaffes, lapsus et aveux, beaucoup éclairé les citoyens depuis un mois.

    Retour avec le sociologue François-Xavier Dudouet sur cette exception française des « patrons d’État » qui, en privatisant ou en pantouflant, ont fini, après celle des services publics et de la puissance publique, par creuser leur propre tombe.

    Pour François-Xavier Dudouet, Amélie Oudéa-Castéra et son mari incarnent la dernière génération de « patrons d’État ».

    Son mandat aura été court au ministère de l’Éducation nationale, mais reconnaissons une qualité à Amélie Oudéa-Castéra : en quelques semaines, cette femme qui, avec un patrimoine évalué à 7 millions d’euros, figure en bonne place sur le podium du gouvernement, aura offert aux citoyens une magistrale leçon de sociologie de la classe dirigeante en France.

    À son corps défendant, certes. Mais avec ses déclarations sur l’école privée, puis sur le mérite – « mon seul héritage, c’est l’amour du travail bien fait » – et, enfin, pour dénoncer le « symbole d’une caste de privilégiés à abattre » qu’elle incarnerait, elle a, ricanent même certains, « fait plus que Pierre Bourdieu en des décennies au Collège de France ».

     

    C’est très exagéré, bien sûr, mais il reste sans doute des enseignements à tirer…

     

    Directeur de recherche au CNRS et auteur, avec Antoine Vion, de Sociologie des dirigeants de grandes entreprises, François-Xavier Dudouet a bien voulu se prêter à l’exercice.

     

    Un bref passage dans l’administration après être sortie de l’ENA comme conseillère référendaire à la Cour des comptes, des actions gratuites glanées chez Axa ou Carrefour, des jetons de présence chez Lagardère, Plastic Omnium ou Eurazeo… Quelle place occupe Amélie Oudéa-Castéra, avec son mari Frédéric Oudéa, parmi les grands patrons ?

    On les avait repérés à la fin des années 2000 quand, avec Éric Grémont, nous travaillions sur les grands patrons en France. Frédéric Oudéa venait de prendre la tête de la Société générale et Amélie Oudéa-Castéra était rentrée chez Axa.

    Parmi les dirigeants qu’on étudiait, c’était les seuls à former un couple au sein du CAC 40. Ils étaient passés tous les deux par l’ENA, puis par les hautes sphères de l’État avant d’aller pantoufler au sommet des grandes entreprises financières du pays. Frédéric Oudéa est resté un peu plus longtemps dans les rouages du pouvoir politique que sa femme.

    Elle, elle a très vite pris le virage du privé. Le couple offre un archétype, très caractéristique, de ce que l’on appelle les « patrons d’État ». Mais, en fait, les Oudéa-Castéra, c’est une queue de comète : si les « patrons d’État » n’ont pas disparu, ils sont quand même en grande difficulté aujourd’hui.

     

    Qu’entendez-vous par là ?

    Dans les années 1980-1990, l’industrie financière française était dirigée par des inspecteurs des finances. BNP Paribas et Axa constituaient un axe majeur dans le CAC 40, au centre du réseau entrecroisé des sièges dans les conseils d’administration. Ces dix dernières années, tout a été bouleversé.

    Les grandes entreprises se sont autonomisées pour se concentrer sur le seul but de servir de la valeur actionnariale. Les logiques transnationales et mondialisées, longtemps limitées aux employés, ont atteint les cadres dirigeants : à la tête des groupes français, mieux vaut aujourd’hui plaire aux marchés financiers et parler anglais que tutoyer les ministres.

    On peut voir un signe de cet amenuisement de l’« atout État » dans le parcours même d’Amélie Oudéa-Castéra : si elle a amassé des actions gratuites, on ne peut pas dire qu’elle ait fait une grande carrière dans le CAC 40 ! C’est une femme d’appareil : privé ou public, peu importe, pourvu qu’elle puisse faire carrière et, le cas échéant, s’enrichir…

    Là, elle s’en sort par un retour vers le pouvoir politique. Mais pour les autres, ce n’est pas du tout l’aboutissement de la carrière. À la sortie de Polytechnique, beaucoup fuient le pays pour partir dans la finance ou les start-up, ou aller faire de la recherche à Stanford ou Berkeley. La France n’est plus l’horizon ultime.

     

    Quel rôle jouent les « patrons d’État » dans ce phénomène ?

    Depuis les années 1970-1980, la puissance économique de la France a été démantelée : dans le viseur, on trouve les services publics forts, émanation d’un État tentaculaire avec une administration dirigée par une élite que Bourdieu décrivait comme une « noblesse d’État ».

    Dans cette dynamique historique qui tend à disqualifier l’État-nation, les « patrons d’État » ont, en France, joué un rôle décisif. Ces gens incarnent la crise. Ils sont issus de l’État, ils ont été produits par l’État, leur carrière est liée à l’État… Et en même temps, ce sont peut-être les derniers, car ce sont eux qui ont privatisé les entreprises publiques et affaibli les services publics.

    Ils parachèvent la destruction de l’État tel qu’on l’a connu. Dans le paysage, Emmanuel Macron apparaît comme le fossoyeur ultime, qui attaque même la haute fonction publique en supprimant l’ENA et en détricotant les grands corps de l’État.

    Ce qui ramène à l’aveu d’Amélie Oudéa-Castéra sur l’éducation…

    Oui, ce qu’elle a dit sur le privé et le public, c’est insupportable, c’est maladroit… et en même temps, c’est vrai ! Ses propos dévoilent une fracture profonde au sein du système scolaire qui ne touche pas que les plus aisés mais l’ensemble de la population. Dans les années 1970-1980, dans la jeunesse du couple Oudéa-Castéra, l’enjeu, ce n’était pas d’aller dans l’enseignement privé.

    Frédéric Oudéa a fait tout son parcours dans le public, par exemple. Il fallait vraiment des convictions très profondes pour chercher à éviter le public. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. S’il n’y avait que Stanislas, on pourrait régler aisément les choses, mais le privé se développe partout.

    Amélie Oudéa-Castéra fait scandale parce qu’elle dévoile, sans le vouloir, ce qu’elle est, mais aussi ce qui est : l’aboutissement d’une destruction des services publics et de l’État à l’œuvre depuis des décennies. C’est indicible parce que ça signifie que, derrière la fracture scolaire, si l’école n’est plus là pour unir le pays et fonder la légitimité de l’ordre social, c’est la paix civile qui est potentiellement menacée…

     

    Sociologie des dirigeants de grandes entreprises, de François-Xavier Dudouet et Antoine Vion, la Découverte, collection « Repères », janvier 2024.

     


    votre commentaire
  • Rima Hassan, au nom de tous les siens

    La juriste franco-palestinienne essuie une vague de haine et d’accusations d’antisémitisme pour avoir défendu la voix des Palestiniens à disposer de leurs droits.

     
    Avant que sa mère ne rejoigne la France en 2002, sa famille vivait dans le camp palestinien de Neyrab, près d’Alep, dans le nord-ouest de la Syrie.
     

    Rima Hassan n’était pas née que l’histoire avait déjà décidé de son avenir.

    Consacrée en août par le magazine Forbes parmi les 40 femmes d’exception qui ont marqué l’année 2023, la juriste franco-palestinienne, petite-fille de Palestiniens chassés de leur terre à la création d’Israël en 1948, est récompensée pour son engagement auprès des réfugiés et des migrants.

    Ce que n’avait pas prévu Forbes, habitué à davantage de consensus, c’est qu’Israël allait débuter une campagne massive de bombardements sur la bande de Gaza dans la foulée des massacres perpétrés par le Hamas, le 7 octobre 2023. Pour Rima Hassan, cette guerre où plus de 30 000 Palestiniens, majoritairement civils, sont morts réveille aussi l’envie de défendre leur voix. Spécialement en France, où un large pan du personnel politique et médiatique fait montre depuis lors d’un soutien inconditionnel au gouvernement israélien. « Naître palestinien, c’est naître avec une identité politique. Impossible d’y échapper », explique-t-elle.

    Un sentiment de spoliation

    Apatride jusqu’à ses 18 ans, celle qui a fondé l’Observatoire des camps de réfugiés en 2019, une ONG autour de la question des migrants et de la vie dans les camps, a aussi longtemps été rapporteuse auprès de la Cour nationale du droit d’asile. « Le droit est ma boussole », aime à rappeler cette spécialiste des législations internationales. Ce qui lui permet de décrire le « crime d’apartheid » auquel les Palestiniens sont soumis dans leur quotidien comme une « mécanique de dépossession permanente de leurs droits ».

    Un sentiment de spoliation dont elle connaît les rouages : avant que sa mère ne rejoigne la France en 2002, sa famille vivait dans le camp palestinien de Neyrab, près d’Alep, dans le nord-ouest de la Syrie. « Dans ma famille, ce besoin d’en découdre face à l’injustice existe depuis longtemps : mon grand-père, dont ma mère me parlait souvent, était très impliqué dans les réseaux communistes. »

     

    « La colonisation des Territoires empêche l’édification d’un État palestinien. »



    Maniant le verbe avec brio, n’hésitant pas à porter des coups, la jeune femme de 31 ans s’est retrouvée projetée dans le marigot médiatique sans presque le vouloir.

    « Quelques mois auparavant, j’avais rejoint mon père, qui vit toujours dans le camp de mon enfance. Je ne l’avais pas revu depuis vingt ans. J’étais à un moment de ma vie où j’avais besoin de me
    reconnecter avec cette partie de mon histoire familiale. Quand la guerre a commencé, je ne pouvais pas me taire. »
    Ce qui ne l’empêche pas de dénoncer également les 1 200 Israéliens tués le 7 octobre : « Il est moralement inacceptable de se réjouir de la mort de civils », twitte-t-elle sur X aussitôt la tragédie connue.

     

    La cible d’une guerre de propagande

    Pourtant, à la télévision, sur les réseaux sociaux, ses mots déstabilisent une frange de l’opinion publique qui préférerait oublier la question palestinienne : « La sécurité d’Israël n’est pas liée au régime d’apartheid en place. Gaza en est la preuve la plus récente. Ce qui la garantit, ce serait la fin des persécutions vis-à-vis des Palestiniens. Encore faudrait-il que les Israéliens sortent de leur obsession démographique – de leur crainte d’être minoritaires – et acceptent de négocier sur le droit au retour », répète-t-elle, plaidant pour la création d’un État binational. En Israël, l’idée provoque un tollé tant elle remet en cause le principe d’Israël « foyer national du peuple juif ». Mais elle a l’avantage de partir du terrain. « La colonisation des Territoires empêche l’édification d’un État palestinien. »

    Dans une France où Meyer Habib, député des Français de l’étranger (LR), se permet toutes les outrances, Rima Hassan s’attire les haines rances. Fin janvier, la voilà montrée du doigt pour « antisémitisme » supposé et conspuée pour « apologie du terrorisme » dans un post Instagram de l’animateur Arthur.

    Plusieurs dizaines de comptes le relaient ensuite. Rima Hassan porte plainte, mais le mal est fait : Forbes annule la cérémonie de remise des prix pour « raisons sécuritaires ». « Ce qui me fait du bien malgré tout, c’est de me sentir soutenue », comme avec cette récente pétition signée par presque 700 élus qui s’insurgent contre son sort « ignominieux » visant au-delà de sa personne à « faire taire la Palestine et toutes les voix qui la défendent ».

     

    Israël-Palestine : « La solution, c’est un État binational démocratique et laïc », estime Rima Hassan

     
     

    Dans cette guerre de propagande, Arthur et ses « amis » ne sont pas les seuls à l’avoir prise pour cible.

    Depuis plusieurs mois, Rima Hassan est « trollée » (chassée), « doxée » (ses coordonnées personnelles communiquées sans son consentement) et, finalement, menacée de mort et de viol. « Arthur et ses amis ne pouvaient ignorer qu’ils relançaient une campagne de haine et de harcèlement à mon égard. »

    Un climat délétère en France qui l’a poussée à rejoindre la Jordanie avec le projet d’écrire le récit de ce retour vers la Palestine. « Comme palestinienne, quand je rentre chez moi”, c’est vers un camp. » En ce lieu de pauvreté et d’oppression où elle retrouve pourtant son humanité au contact d’un peuple qui refuse l’oubli depuis soixante-quinze ans.


    votre commentaire
  • Missak et Mélinée Manouchian,

    amoureux de vivre à en mourir

    Avec une plume efficace, Gérard Streiff retrace l’incroyable biographie de ces militants communistes, à l’heure de leur panthéonisation. À travers leur histoire, le journaliste brosse l’impressionnante toile de la Résistance rouge.

     

    Missak et Mélinée Manouchian, un couple en Résistance, Gérard Streiff, édition l’Archipel, 234 pages, 21 euros.

     

    La vie de Missak et Mélinée Manouchian s’est confondue avec les grands espoirs et les pires tragédies de la première moitié du XXe siècle.

     

    Rescapés du génocide arménien, réfugiés en France, solidaires de leurs semblables accablés de souffrances, communistes, résistants, ils étaient follement épris l’un de l’autre.

    Leur amour, d’une bouleversante incandescence, s’est fracassé contre le mur de la guerre.

    Leur engagement antifasciste a pu trembler mais n’a jamais failli, même durant les heures les plus noires de l’occupation allemande et de la collaboration.

    Et puis, il y a eu la trahison fatale, celle qui a conduit à ce terrible jour de février 1944 où Missak et ses camarades francs-tireurs et partisans-Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI) ont été exécutés au Mont-Valérien, après des mois de tortures indicibles.

    Ces étrangers sont morts pour la France, en héros, malgré la propagande nazie de l’Affiche rouge qui les a présentés comme « l’armée du crime ». Ils sont entrés dans l’Histoire.

     

    « Beau comme une statue grecque »

    Mélinée ne s’est jamais consolée de la perte de « Manouche », son mari et complice, cet homme « beau comme une statue grecque », séduisant d’intelligence et de culture dont elle est tombée amoureuse en 1934.

    Ensemble, ils ont scellé un militantisme commun.

    Ils œuvrent de concert au sein de la section française du comité de secours pour l’Arménie soviétique.

     

    La peste brune dévore l’Europe.

    La guerre les précipite dans la clandestinité.

    Missak, l’ouvrier, le sans-papiers, le poète féru de lettres, devient un combattant de l’ombre, rejoint la lutte armée et prend la tête de la direction militaire des FTP-MOI de Paris et de la région parisienne.

    Avec ses camarades, ils signeront des attaques spectaculaires.

    Mélinée dactylographie des tracts, les transporte, etc.

    Missak se sait « filoché ».

    La nuit du 15 novembre 1943, « il savait que, pour lui, que c’était la fin ».

    « Il y avait dans ses yeux à la fois de la pitié, de la crainte, et l’expression d’un immense amour inachevé », écrira bien des années plus tard Mélinée.

    Le lendemain, Missak est cueilli par la police avec son chef et figure des FTP, Joseph Epstein.

    Les deux hommes seront atrocement torturés.

    Aucun ne parlera.

     

    La plume efficace de Gérard Streiff retrace l’incroyable biographie des Manouchian, un couple devenu mythique, mais dont la vie n’a rien d’une romance.

    À travers leur histoire, le journaliste brosse avec minutie l’impressionnante toile organisationnelle de la Résistance rouge, le rôle singulier et déterminant qu’ont joué les internationalistes au nom de leur idéal.

    L’auteur ne contourne aucun sujet sensible.

    Il bat en brèche les réinterprétations historiques et idéologiques malhonnêtes qui ont parfois éclaboussé l’action de ces femmes et de ces hommes en général, et du PCF en particulier.

    L’ouvrage de Gérard Streiff est donc une contribution précieuse, à l’heure où Missak et Mélinée Manouchian vont faire leur entrée au Panthéon, en février.

     

    Pour la première fois,

    des résistants communistes reposeront

    dans la nécropole républicaine.

    Cet ouvrage est un hommage sincère à l’action des apatrides et de tous les combattants « étrangers et nos frères pourtant », selon les vers de Louis Aragon, aux antipodes des théories racistes de l’extrême droite désormais érigées en loi.


    votre commentaire
  • Manouchian au Panthéon :

    voici comment se déroulera la cérémonie

    Le Mercredi 21 février 2024, Missak Manouchian entrera, avec sa femme Mélinée, au Panthéon.

    L’Élysée a prévu une cérémonie d'une heure trente le jour J, ainsi qu'une veillée funéraire symbolique au Mont-Valérien la veille.

    PCF et CGT vont organiser un hommage populaire.

    Missak Manouchian, Résistant, communiste, poète et ouvrier
    entrera au Panthéon pour l’éternité, le 21 février.
     

    Un communiste, poète et ouvrier entrera au Panthéon pour l’éternité, le 21 février.

    Emmanuel Macron avait annoncé, le 18 juin dernier, qu’il avait choisi le résistant arménien et chef militaire des FTP-MOI Missak Manouchian pour demeurer au sein du temple de la République, 80 après son exécution par les nazis au Mont-Valérien de Suresnes (Hauts-de-Seine).

    Il y entrera accompagné de sa femme, Mélinée, à qui il disait dans sa dernière lettre : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. »

    Voici ce temps venu.

    Avant de rejoindre le caveau numéro XIII sur lequel un plaque distinguera aussi ses 22 camarades immortalisés dans le poème d’Aragon l’Affiche Rouge, ainsi que Joseph Esptein, le cercueil de Missak Manouchian, aujourd’hui enterré au cimetière parisien d’Ivry, remontera la rue Soufflot, couvert d’un drapeau français, porté par un régiment «lié à Manouchian », fait savoir l’Elysée.

    Il sera alors 18h30 et un parcours de lumière pavera le chemin du résistant, pour scander les trois périodes de la vie de Manouchian (génocide arménien, poète et Résistance).

    Au pied du Panthéon, sur lequel est prévu un spectacle son et lumière – un « mapping » dans le jargon – de plus de sept minutes, la garde républicaine prendra le relais pour monter les marches jusque sous la coupole.

    Reprise d’Aragon par Feu! Chatterton

    Lorsque les portes du monuments s’ouvriront, la musique du compositeur Pascal Dusapin retentira.

    A l’intérieur de l’édifice républicain, le chef de l’Etat prononcera l’oraison funèbre de Missak Manouchian, devant 1 200 invités, dont 600 scolaires et de nombreuses personnalités issues de la communauté arménienne comme Robert Guédiguian, réalisateur de L’Armée du crime.

    Les représentants politiques de l’Arménie sont d’ailleurs attendus.

    Le chanteur Arthur Tréboul, leader du groupe Feu! Chatterton, devrait alors reprendre « Strophes pour se souvenir », poème de Louis Aragon si joliment chanté par Léo Ferré.

    Une « réinterprétation moderne et extrêmement forte », promet un conseiller élyséen.

     

    Manouchian, la France reconnaissante

    La veille, le cercueil de Missak Manouchian passera sa dernière nuit hors du Panthéon dans la crypte du mémorial de la France combattante, au Mont-Valérien, où il reviendra donc « victorieux », huit décennies après sa mort.

    Il s’agit d’une demande de Jean-Baptiste Romain, directeur des Hauts lieux de la mémoire d’ïle-de-France, pour « réunir les différentes mémoires » de la Résistance dans ce lieu où reposent seize combattants de la Seconde guerre mondiale mais aucun fusillé du Mont-Valérien.

    Avant de rejoindre la crypte, les restes de l’illustre FTP-MOI accomplira le même parcours que le jour de son exécution :

    « Il entrera par le haut, passera devant la chapelle où il se serait confessé avant de descendre dans la clairière », retrace l’Elysée.

    Une veillée funéraire par différentes personnalités, dont l’identité n’a pas filtrée, est prévue pendant au moins deux heures.

     

    Un hommage populaire est également prévu, organisé le 21 février dans l’après-midi par le PCF et la CGT dans les rues de Paris.

    Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, et Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, prendront la parole pour accompagner symboliquement Missak Manouchian au Panthéon.


    votre commentaire
  • À la tête de la FNSEA,

    qui est Arnaud Rousseau,

    le businessman qui voulait passer pour un paysan ?

     

    Arnaud Rousseau, président de la FNSEA depuis 2023, est un patron avant tout. L’écologie et l’Europe lui servent d’épouvantail pour masquer le monde qui le sépare de l’éleveur du Gers, qu’il prétend représenter avec son syndicat.

     

    Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, élu en 2023,
    est aussi dirigeant d'une grosse quinzaine d'entreprises.

     

    Arnaud Rousseau a un grand nombre de casquettes, ou plutôt de chemises.

    Si celle-ci est à carreaux, il incarne l’agriculteur et le dirigeant de la FNSEA, principal syndicat du secteur.

    Lorsqu’elle est bleu pâle avec cravate en soie, on est face au grand patron, habitué des assemblées générales d’actionnaires et qui parle en millions d’euros.

     

    Arnaud Rousseau est un homme très occupé.

    On le retrouve administrateur ou dirigeant d’une grosse quinzaine d’entreprises, de holdings et de fermes : directeur de la multinationale Avril (Isio4, Lesieur, Matines, Puget, etc.), administrateur de la holding du même nom, directeur général de Biogaz du Multien, spécialisé dans la méthanisation, administrateur de Saipol, leader français de la transformation de graines en l’huile, président du conseil d’administration de Sofiprotéol, qui finance des crédits aux agriculteurs.

    La liste est longue.

     

    Comme patron d’exploitations agricoles, il ne possède pas moins de 700 hectares, principalement des céréales oléagineuses (colza, tournesol) mais aussi du blé, de la betterave, du maïs, et de l’orge.

    Il est aussi maire (sans étiquette) de sa commune Trocy-en-Multien (Seine-et-Marne) et vice-président de la communauté de communes du pays de l’Ourcq.

     

    Deux classes d’agriculteurs bien différentes

    Sur sa biographie officielle du groupe Avril, il est dit qu’Arnaud Rousseau a « un parcours atypique ».

    Pour un agriculteur, certes, beaucoup moins pour un dirigeant, puisqu’il est diplômé de l’European Business School de Paris et qu’il est passé un temps par le courtage de matières premières agricoles, c’est-à-dire leur mise en vente sur les marchés financiers.

     

    Ces contradictions se retrouvent dans ses prises de position.

    Il défend une agriculture productiviste française pour nourrir les Français, mais consacre ses champs à une production majoritairement destinée à l’export.

    Il soutient les agriculteurs qui se plaignent de l’augmentation des taxes sur le gazole non routier (GNR), mais il a entériné cette hausse cet été, lors des négociations avec le gouvernement sur le projet de loi de finances.

     

    Avec ses homologues grands céréaliers, il est l’un des principaux bénéficiaires de la PAC, quand les petits éleveurs, ceux-là mêmes dont la colère déborde dans le Sud-Ouest, sont les plus lésés.

    Ce sont deux classes d’agriculteurs bien distinctes, aux intérêts antagonistes.

    C’est pourquoi il ne peut répondre aux demandes des manifestants sur la hausse du GNR, qu’il a validée, ni sur les marges des groupes agroalimentaires, lui qui en dirige un.

    Alors, Arnaud Rousseau a un bouc émissaire tout trouvé : l’Europe et ses normes écologiques.


    votre commentaire
  • Amélie Oudéa-Castéra :

    un lobbying très actif

    au service d’une école privée hors contrat,

    contre l’avis de l’Éducation nationale

     

    La nouvelle ministre de l’Éducation nationale, déjà embourbée dans l’Affaire Stanislas et confrontée à la défiance du corps enseignant, a selon des révélations de « Mediapart » activement œuvré pour faire en sorte qu’une école privée hors contrat, dirigée par une de ses connaissances, soit contractualisée. Au mépris des conséquences pour l’école publique et contre l’avis des services de l’Éducation nationale.

    Amélie Oudéa-Castéra, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale est confrontée à de nouvelles révélations confirmant sa proximité problématique avec le monde de l’enseignement privé.
     

    En ce jour de mobilisation massive des personnels de l’Éducation nationale,

    ces nouvelles révélations risquent bien d’alimenter la défiance à l’égard d’Amélie Oudéa-Castéra.

    La ministre de l’Éducation nationale, qui depuis son intronisation mi-janvier à la tête d’un « superministère », multiplie les bévues démontrant son peu d’appétence pour l’école publique, a selon Mediapart activement travaillé, bien avant de devenir ministre des Sports, à la promotion d’une école privée hors contrat, dirigée par l’une de ses connaissances, Michel Naniche, un professeur de mathématiques et amateur de tennis.

     

    Le but de ses démarches insistantes ?

    Faire en sorte que cette école, dénommée Diagonale, obtienne gain de cause dans sa requête de passer sous contrat avec l’État, promesse d’une manne financière pour cet établissement, accueillant notamment des jeunes sportifs (de la primaire à la prépa), qui facture ses droits d’entrée de 4 900 à 6 900 euros l’année.

     

    « Les écoles du modèle de Diagonale,

    il faut qu’on arrive à les faire fleurir »

     

    Ce passage sous contrat était par ailleurs devenu une urgence pour l’école, confrontée à une baisse de ses résultats et à une vague consécutive de départs de ses élèves, après la mise en place du nouveau système de contrôle continu, réputé plus favorable (il représente désormais 40 % de la note finale pour les élèves du public et du privé sous contrat).

    Dès lors, Amélie Oudéa-Castéra aurait démultiplié ses efforts.

    « Les écoles du modèle de Diagonale (…), il faut qu’on arrive à les faire fleurir », aurait ainsi plaidé dès 2022, selon le journal en ligne, la ministre auprès des plus hauts services de l’Éducation nationale, seuls compétents pour trancher.

    Ils ont sans surprise opposé un avis défavorable à ses demandes « répétées » dont les conséquences seraient difficilement passées inaperçues.

     

    Comment, en effet, faire passer un transfert, à la charge de l’État, de la rémunération de plusieurs dizaines de postes d’enseignants « équivalents temps plein » au sein de cet établissement, présent dans quatre académies, dont Paris, alors que, dans la capitale, une centaine de postes y ont déjà été supprimés cette année dans le second degré.

    Comment encore faire passer cette concurrence déloyale, avec l’argent du contribuable, pour les écoles publiques qui œuvrent aussi sur ce créneau des horaires aménagés pour les élèves sportifs ?

     

    Interrogés par Mediapart, deux hauts fonctionnaires de l’Éducation nationale ont confirmé ces réticences : « La spécificité de l’offre pédagogique de Diagonale (horaires d’enseignement plus faibles que les programmes requis) et les retraits d’emplois par ailleurs prévus dans l’enseignement public comme privé sous contrat à Paris du fait de la baisse démographique, ne permettent pas de passer sous contrat les classes de Diagonale », ont-ils répondu au média en ligne.

    Un arbitrage devant donner lieu à une décision définitive devrait pourtant, selon les deux fonctionnaires, commencer en février ou en mars.

    Pas sûr que la présence d’Amélie Oudéa-Castéra à la tête du ministère soit désormais considérée comme une aubaine par la direction de l’école Diagonale.

     

    En attendant, les révélations de « Mediapart » ont de nouveau suscité des remous et de multiples réactions parmi la classe politique face à cette promotion tous azimuts, parmi les hautes sphères de l’État, de l’école privée, dont témoignent les affaires récemment mises au jour par la presse.

    Le sénateur communiste Pierre Ouzoulias a notamment réagi sur son compte X (ex-Twitter), en formulant trois propositions :

    - un « moratoire sur l’ouverture de nouvelles écoles privées

    – (la) Constitution d’une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur toutes les dérives existantes dans les écoles privées sous contrat »

    -ainsi que « l’audition de Madame Brigitte Macron, qui semble jouer un grand rôle dans la promotion de l’école privée dans notre pays, au mépris de notre école publique. »


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique